"Il
y a un besoin de Français dans les pays francophones"
Par Tirthankar Chanda,
journaliste

Secrétaire général de l’Organisation
internationale de la francophonie (OIF) depuis deux ans, le Sénégalais
Abdou Diouf a obtenu, en novembre 2004, au Sommet de Ouagadougou,
d’initier un ambitieux programme de développement durable.
Entretien.
La francophonie a
commencé dans les années 1970 comme mouvement pour la défense
du français, une langue qu’on dit en recul par rapport à l’anglais.
Quel est l’état du français aujourd’hui ?
Abdou Diouf : Le français est aujourd’hui,
après l’anglais bien sûr, la deuxième grande langue de
communication internationale parlée sur les cinq continents,
enseignée dans presque tous les pays du monde. C’est l’une
des principales langues de travail des plus grandes organisations
internationales. On a toujours tendance à mesurer la situation du
français par rapport à celle de l’anglais, ce qui amène à
constater, en effet, une perte de vitesse. Moi, je la mesure
autrement : par les progrès, notamment hors de l’espace
francophone, de l’enseignement de notre langue, par le succès
croissant de notre chaîne francophone TV5 ou de la Journée
internationale de la francophonie, fêtée chaque année, le 20
mars, dans une centaine de pays.
Quelles sont les
actions concrètes menées par le mouvement francophone pour défendre
la langue de Césaire et de Kundera ?
Pour notre organisation, l’OIF, le
rayonnement du français est un objectif stratégique. Parmi nos
programmes prioritaires figure, par exemple, le renforcement de
l’usage du français dans les organisations internationales,
comme l’Union européenne ou le Comité des Jeux Olympiques.
Citons aussi tout ce que nous faisons dans le domaine des
technologies de l’information ou dans le cadre des partenariats
entre universités francophones, amenées à travailler ensemble
dans des secteurs juridiques ou scientifiques. La volonté de
faire rayonner le français, de le moderniser et de lui donner
toujours plus de crédibilité est, en réalité, au cœur de la
plupart de nos programmes.
La francophonie
compte aujourd’hui 56 pays, dont 29 États africains pour
lesquels le français est un héritage colonial. Qu’est-ce qui
pousse ces pays à défendre la langue de leur ancien colonisateur ?
L’histoire de la francophonie, portée par
les pères fondateurs — le Sénégalais Léopold Sédar Senghor,
le Nigérien Hamani Diori, le Tunisien Habib Bourguiba ou le
Cambodgien Norodom Sihanouk —, l’évolution récente de notre
communauté et de notre organisation montrent, bien sûr, que nous
assumons tous ce passé commun, cet héritage. Mais le français
n’est plus la propriété de la France. Il est devenu, comme le
dit l’écrivain algérien Kateb Yacine, un butin de guerre. On a
besoin du français dans les pays francophones. Le français est
devenu l’une de leurs langues, et même la langue officielle de
la plupart d’entre eux.
Abdou Diouf, le Secrétaire général
de l’OIF. © F. de la Mure / MAE
Au cours de la dernière
décennie, le mouvement francophone s’est doté d’institutions
et d’un secrétariat général pour mieux peser dans la vie
politique internationale. Quelles sont les principales causes défendues
par la francophonie ?
Depuis son premier sommet en 1986, la
francophonie a consacré boneaucoup d’énergie à s’organiser
et à se construire sur le plan institutionnel. Cette tâche était
nécessaire et difficile parce que la démarche francophone ne
pouvait se référer à aucun modèle existant, à aucune catégorie
d’organisation internationale ou régionale. Aujourd’hui, la
francophonie est en train d’atteindre son but et de trouver sa
place au sein de la communauté internationale. Au sommet de Hanoi
(Viêtnam), en 1997, nous avons défini le volet politique de
notre action, précisé en 2000 dans la Déclaration de Bamako
(Mali) en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme. À
Beyrouth (Liban), en 2002, c’est la dimension culturelle qui a
été consacrée comme la deuxième ligne de force de notre
action, avec la mise en œuvre de notre politique en faveur de la
diversité culturelle et linguistique. À Ouagadougou, en novembre
2004, c’est le troisième grand volet qui est mis en avant,
celui de la solidarité et de la lutte contre les inégalités.
Vous dites que la
francophonie combat pour la diversité culturelle. Qui dit
diversité culturelle dit diversité linguistique. La défense du
français et le plurilinguisme ne sont-ils pas deux concepts
contradictoires ?
Non seulement ils ne sont pas contradictoires,
mais ils sont indissociables. On ne peut concevoir aujourd’hui
une politique de modernisation et de rayonnement du français dans
une logique défensive et de repli. C’est pourquoi nous avons
mis en place un programme de partenariat avec les autres aires
linguistiques, telles que l’arabophonie, l’hispanophonie et la
russophonie. Nous finançons aussi l’enseignement et la
diffusion des langues locales danons les pays francophones. Quel
est le risque le plus grave auquel nous sommes confrontés ?
C’est celui de l’uniformisation, de la disparition de
centaines de langues, de l’écrasement des cultures, de la crise
des identités. La seule réponse est celle du combat en faveur de
la diversité culturelle et linguistique. Et c’est par ce combat
que passe l’avenir du français.
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Le français
n'est pas la propriété de la France
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Vous avez récemment
déclaré que " le troisième millénaire sera le millénaire
de l’Afrique ". Pour ce faire, l’Afrique aura besoin de
la solidarité de la communauté internationale, encore trop
faible aujourd’hui. Croyez-vous que les francophones puissent
compenser ce déficit ?
C’est une de mes grandes préoccupations.
Tous les francophones sont d’accord sur le fait que l’Afrique
a un besoin particulier de solidarité. Il faut aussi qu’on lui
fasse confiance pour qu’elle renforce sa démocratie, se dote
des moyens de son expression culturelle, lutte contre la pauvreté,
les inégalités ou les grandes pandémies. J’attends beaucoup
de cette solidarité francophone vis-à-vis de l’Afrique. Il ne
faut jamais oublier ce que ce continent apporte à la francophonie,
à son ambition. Malgré ses difficultés, l’Afrique est une
immense source de richesses.
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